La Femme barbare ( Chapitre 19 )
Publié le 31 Août 2017
La Femme barbare
Chapitre 19
Garées en éventail sur le trottoir
C’était le premier vrai dimanche de soleil .Il n’y avait pas eu d’hiver, mais la cote avait été énormément arrosée et ce, dès le début de l’automne. Impossible de sortir les Harley, toujours dévoreuses de temps en nettoyage, en lustrage : du latin « lux » ; lumière et cette lumière avait tant manquée tout l’hiver. Les chromes, du grec « couleur » n’aiment pas la pluie. Beaucoup de motard du weekend s’étaient fatigués du chiffon et ils évitaient désormais les jours incertains, les jours gris. Ce dimanche, il y avait donc foule au Bar le West Coast , à La Palice , sur le Port de commerce de La Rochelle .L ‘ambiance industrielle qui y régnait allait plutôt bien avec les grosses mécaniques , gourmandes en technologies et en essence . Les faux bourgeois encanaillés de La Rochelle , avaient pris l’habitude de se retrouver dans ce faubourg , qui pour une fois n’était pas délaissé .Ils pour pavanaient à satiété en terrasse ,sur leur tôle clinquante . Et puis le dimanche matin, c’était l’endroit ou fallait être .De plus le grand marché populaire de La Palice se tenait à deux pas . Un dernier en cas pourrait y être acheté pour le déjeuner dominical, une raison supplémentaire pour ne pas éviter l’endroit. Et dans ce lieu convivial, l’amant connaissait forcement beaucoup d’habitués, beaucoup trop pour passer inaperçu. Là encore il se dévoilerait. Il ne se mentait pas sur le parcours plus que chaotique de cette aventure amoureuse. Il ne se mentait pas sur la voie sans issus qui pointait à l’horizon, de cet horizon qui pouvait se boucher à tout moment .Tout avait failli s’arrêter dès le premier weekend , tout aurait dû s’ arrêter , deux jours seulement après l’avoir , pour la première fois , tenue dans ces bras .
Cet acte fondateur, se raté primitif, avait pollué jusqu’ à maintenant leur amour, au zénith inaccessible…pour l’instant se disait ’il . Parce que lui, il voulait encore y croire .Il était rempli de ce besoin, de cette certitude. Ce n’est pas tous les jours que vous rencontrez la Femme de votre vie . Et même si la femme de votre vie , vous ne la tiendrait dans vos bras que quelques heures . Il avait dans la tête, cette valse chantée par Edit Piaf , « La foule ». Mais lui, ce n’était pas la foule qui l’entrainait, c’était les évènements que son amante provoquait sans les gérer , c’était cet amour qui lui glissait entre ses doigts, comme le sable de la plage de Chatelaillon . Il savait maintenant qu’elle était inconséquente dans sa relation amoureuse , voir même dangereuse .Tout partait dans tous les sens et il n’y pouvait rien .Mais il savait aussi que dans la nature humaine , il y avait tout et son contraire , que le meilleur côtoyait le pire .Il acceptait de se mettre en danger pour Elle .Mais il allait falloir que les résultats adviennent plutôt tôt ,que plus tard .Il commençait à être plus qu’ entamé .La soirée d’Hier soir avait été , sans être catastrophique , très compliquée, encore une fois . Mais ce nouveau soleil d’un timide printemps, dans le décor du West Cost , ce dimanche matin , il voulait que tout soit à nouveau possible . Et il restait positif.
Les Harley , les Victory , Les Indian , les Triumph encore fumantes , mécanique moderne et look résolument vintage , étaient garées en éventail sur le trottoir devant leur propriétaire , qui fumait virilement en terrasse , tout comme leur bécane . La route aussi avait été privatisée. Les machines se répartissait en cercle tout autour du carrefour ou était situé le West Cost . Les voitures anciennes, les américaines, les sportives étaient stationnées en vrac, avec pour seul critère qu’elles puissent être vue de leur pilote depuis leur place assise. Autant dire de tout le monde. Philippe Jeantot , vainqueur du Vendée globe en 1990 avait écrit sur son bateau : « La seule différence entre les enfants et les adultes , c’est la taille des jouets »
Et c’était dans ce lieu baroque ou les Amants c’était donné rendez-vous, en fin de matinée , les amants , les amants et Victor également .Et la venue de ce Victor n’avait pas fini de faire des dégâts collatéraux. Lui, presque habitué au foudroyage presque quotidien de son amante, n’avait pas si mal dormi. Et dans ce matin lumineux, Il avait presque oublié la faillite de la soirée de la veille . Avec Elle, il n’était plus à une pierre près, dans son jardin. Onze Heure pour l’apéritif, pour ceux qui se lèveraient à une heure normale. Et pour ceux qui sortiraient à peine du lit, ce serait un café à la même heure ! Rien qu’ à la boisson , on savait qui avait fait quoi de sa nuit .
Il était arrivé près de trente minute en avance , pour choisir sa place, pour gérer la convivialité. Les princesses, cela s’accueillent en princesse. Sa Harley à Lui flambante, était garée, elle aussi en bordure du trottoir. Etre amoureux n’évite pas d’échapper aux vanités ordinaires, bien au contraire. Il avait repéré une table à l’intérieur qui avait l’avantage de pouvoir s’agrandir à mesure que de nouveaux convives s’y présenteraient. Mais également d’offrir un dégagement sur tout le carrefour, sur toute les allées et venues de personnes et de véhicules. Il pourrait ainsi avoir un œil sur les entrées et sorties dans le bar. Il n’avait pas hésité à prévenir certains copains suffisamment surs, suffisamment complices , qu’il serait au West Cost aussi. Et qu’il y serait accompagné. Il voulait leur réserver la surprise, la découverte de cette femme qui ferait forcement grand effet. Enfin c’était son idée à lui, à Lui sur Elle.
Installé derrière une bière, Harley oblige, la table commençait à se remplir, de copains, de blagues plus ou moins finaudes, de performances sexuelles plus ou moins avérées, de vantardises ordinaires en tous genres, sur les conquêtes du samedi soir , rencontrées essentiellement sur les sites Meetic ou Badoo . Il fallait bien rires de la misère .Lui cela l’amusait cette vie de patachon, car elle était à l’opposé de la sienne ; une société de grands enfants. Mais avec plus de deux décennies de mariage, il était une référence, et une référence rare, un modèle de sobriété même, comme sa moto pour laquelle il n’avait jamais cherché à sur-vitaminer la mécanique, afin de ne pas polluer davantage. Même dans l’excès, il restait éthique. Lui, il n’était pas du genre à ramener des greluches. Pas comme ses copains de moto, toujours en quête de nouvelles blondes, ses copains qui se cachait d’un célibat subit, d’une solitude mordante, surtout le weekend. Multiplier les conquêtes, c’est multiplier les déceptions, multiplier les abandons.
Elle aussi , son Amante , emprisonnée dans son carcan mental , parce qu’éternelle célibataire , ne pouvait imaginer qu’avec toutes les facilités qu’avait son amant , auprès des dames , il n’en profitait pas . On ne juge que d’après soit même. Ce qu’elle avait pour preuve, c’était qu’il se libérait beaucoup de temps pour être avec Elle .Elle n’imaginait pas le prix de ce temps consumer pour Elle et rien que pour elle, à prendre tous les risques juste pour être avec Elle et pour être souvent malmené par Elle.
Contrairement à ce qu’elle pouvait penser de Lui, s’il avait le contact facile avec les dames, il ne leur soulevait pas pour autant la jupe. Et puis les femmes passées un certains âges, dans le milieu de la moto, à fumer, à picoler le weekend, à sortir jusqu’ à plus d’heure, elles étaient bien entamées, gras du bide et rides prématurées, comme ses copains d’ailleurs. Lui, ce n’était pas qu’il avait plus de rectitude que les autres. Mais comme il savait qu’il ne pouvait pas avoir d‘issus avec une conquête d’un soir, il n’avait pas cet angoisse de l’échec avec les dames, la tension due aux frustrations qui allait avec cet échec. Il était de fait plus drôle, plus détendu avec ses dernières, car il n’attendait rien d’elles, un peu comme les Gays aux tables de très belles filles, frigides souvent ; celle que les garçons hétèros n’osaient plus aborder. Et cela agaçait un peu ses copains de le voir briller plus qu’eux .Il s’était aperçu que ceux-là même, avec le temps, chassaient de plus en plus loin . Ils n’hésitaient plus à faire deux heures de route, pour convoler guère plus qu’une soirée. Ils s’en cachaient d’ ailleurs. Ce n’était pas brillant .Ce n’était pas que le gibier était rare, bien au contraire .Mais localement tous les célibataires chroniques s’étaient tous, trop essayés les uns les autres .Et pour lui, c’était quand même de la misère, cette éternelle chasse, cette éternelle attente, cette éternelle insatisfaction.
Au-delà de l’humour hélas, il y avait aussi ses signes matériels d’une vie bien plus aisée que la plupart. Et cela attirait forcement les dames .Mais il ne cédait pas à leurs invitations plus ou moins déguisées. Sur le moment, ce jeux de la séduction à peine voilée , pouvait lui paraître amusant, viril, prestigieux même. Mais le lendemain, que faire de cette nouvelle prise ? Ses vrais amis le savaient. Ses vrais amis l’estimaient pour cela. Et surtout, parce qu’ils connaissait bien son épouse , son épouse et ses névroses , ses angoisses chroniques , ravageuses , délétères .Plusieurs fois , Ils avaient terminé au restaurant , un diner qu’il avait préparé chez lui , chez eux ,toute la journée pour ses copains . Mais Lui, Il avait tenu bon jusqu’ à maintenant, avec cette épouse qui se levait la nuit pour pleurer, hier sur ses chers disparus , aujourd’hui sur les enfants qu’elle voyait comme indigne d’elle .Leur père et leur entourage , eux les trouvaient très en forme ces enfants , ces presque adultes . Oui , beaucoup d’hommes sensés auraient fui cette femme depuis longtemps. Ce n’était plus dans l’air du temps de supporter l’autre quand la gangrène le grignote .Les couples se dissolvaient pour beaucoup moins que cela . Lui il était resté peut-être à cause du patrimoine , de ce cadre de vie qu’ils avaient construit patiemment ensemble et qu’il ne retrouverait plus , avec aucune autre , à cause du fric , comme disaient les envieux .
Toute une partie « hollandisée » de la société haïssaient le patrimoine, parce qu’ils avaient été incapable de s’en constituer, sauf en tapant dans la caisse , en usant de leur position . Et comme par Hazard, les mêmes étaient ceux qui changeaient le plus souvent de conjoints .Faire des enfants n’importe quand , avec n’importe qui , à n’importe quel âge , et laisser l’état et leurs passe-droits , quand ils en avaient , pourvoir à leurs besoins . Sauf que l’état était en faillite maintenant .Et ses rejetons bringuebalés par les séparations irresponsables , payaient maintenant l’instabilité de leur parents , avec son cortège de drames familiaux , de psychoses , des études au rabais , parce qu’un état surendetté c’est un ascenseur social bloqué , le chômages de masses ; dur retour à la réalité ! Et bien sûr c’est toujours la faute des autres, de ceux qui possèdent, sans prendre en compte que ceux qui possèdent aujourd’hui, n’avaient peut-être rien , hier. Lui il était souvent le moins diplômé de toutes assistances, et même parmi les motards …et pourtant. C’est cher une Harley , même à crédit .
Seulement voilà, Lui , le modèle de ses copains avait maintenant sa faille. Lui il avait attendu d’avoir une faille, parce que ses enfants partie du foyer familial, allaient avoir de bonnes situations. Il avait fait le job jusqu’au bout.
Et cette faille, c’était Elle. Et ils étaient impatients, tous, de connaître celle qui l’avait fait choir ; forcement quelqu’un d’exceptionnel , elle avec sa Porsche 911 grise évidement, un joli gris classieux tout de même . Elle ne ferait pas tache dans l’ assemblée , sauf , qu’elle était une femme , une femme avec une voiture d’ homme , avec les valeurs contestables des hommes , mais superbement femme , celle que personne ne connaissait encore , celle dont tout le monde regarderait la voiture, puis les cuisses en sortant de la Porsche , puis l’allure en traversant le carrefour. Celle qui surprendrait tout le monde de sa féminité éclatante dans un environnement essentiellement Masculin. Et elle viendrait se loger sous son bras à Lui , son amant , se coller à ses lèvres, sans ne dire bonjour à personne de connu par elle. Et elle jouerait le jeu , car être femme s’est séduire . C’est aimer se voir aimée, se savoir aimée.
Très féminin ce gout de l’exhibition. Certes être proie est plus facile qu’être chasseur. Mais les proies ne sont rien sans les chasseurs et vice, puisque cela est du vice, vice versa .
N’importe quel propriétaire de gros cube serait scotché par cette bourgeoise, rayonnante au milieu des poilus .Avoir un gros cube c’est d’abord affaire de complexe machiste. Lui il avait le gros cube, la femme porte clef , et la Porsche du porte clef qui allait avec . Bien sûr qu’il y avait de l’orgueil, plus que de la fierté , d’ avoir pour maitresse ,une très jolie femme qui roulait en Porsche .C’était trop beau. Misérable réalité, mais réalité tout de même .Le clip vidéo de rap parfait. Mais lui il savait décrypter ce genre de piège. Mais comme tout leader, il devait forcement en proposer davantage. A sa manière, il avait aussi son patatoïde, avec ses Ginettes en casque de moto .
Non, comme tous , il n’échappait pas aux vanités ordinaires . Mais lui savait s’en amuser, les mettre à distance pour ne pas en être prisonnier, comme des patatoïdes . Le décor étant planté, bien installé à son poste d’observation, sa mise en scène étant callé, Il manquait que l’actrice principale et Victor comme meilleur second rôle, l’ange blond du mal . C’était le moment qu’elle apparaisse.