Le Crassier ( Chapitre 2 )

Publié le 4 Novembre 2017

Le Crassier - roman -la maison fissurée - photo Alcide Sarin

Le Crassier - roman -la maison fissurée - photo Alcide Sarin

Le Crassier

 

Chapitre 2 - La Maison Fissurée

 

 

Solange et Jean raccompagnèrent leur hôtes, Agnès et Jean Louis chez eux, dans leur belle maison face à la plage, toujours à Chatelaillon. A l’invitation de ses derniers, ils firent ensemble, quelques heures au paravent, un délicieux déjeuner. Solange toujours pressée de faire des gaffes, tensait son mari, devant leurs hôtes, pour savoir de quoi il en retournait, de la fin de la conversation avec Maitre Pigasse. Et comme à l’accoutumé, il dû faire preuve d’autorité, pour la faire taire. C’était délicat dans ce genre de situation. Il devait paraitre trop ferme envers son épouse, alors qu’il ne lui demandait que d’avoir un peu d’intelligence de situation. Rien de ce que Jean avait à lui dire ne concernait leurs amis. Ou plutôt, cela relevait de la discrétion, surtout avec Agnès. Non pas qu’elle fut mauvaise langue, mais elle aurait préféré se coinser les doigts dans une porte plutôt qu’avoir l’impression que l’on pourrait faire mieux qu’elle. Agnès, comme Liza, était d’abord une femme de pouvoir.  Mais Solange s’était fait une spécialité d’être à contre temps dans ses moments cruciaux, toujours un poids dans la difficulté.

 

Même si jean avait l’habitude , c’était  pénible .

 

Cela concernait justement leur projet de déménagement. Il y avait à Chatelaillon , une maison en plein centre-ville , qui , si elle n’était pas face mer  , jouissait d’une vue importante sur celle-ci  . Elle était située entre un hôtel particulier néo Art-déco, nouvellement construit et une paire de maisons en chantier , pastiche de style balnéaire.  Malgré ce deuxième rang, l’angle particulièrement ouvert de la rue, lui donnait une vue imprenable. Mais ces deux chantiers de part et d’autre, l’avait dangereusement fissurée et les propriétaires actuels étaient en plein processus d’indemnisation par les assurances. Sa valeur s’en trouvait de fait diminué, tant que la procédure n’était pas terminée. C’était le moment de l’acheter. Mais il fallait faire vite et avoir l’argent sous la main. Bien des gens guettaient cette affaire.  Mais peu souhaitaient prendre le risque de faire une offre, d’autant plus que si la maison s’écroulait, la tempête Xyntia aurait rendu ce terrain inconstructible. C’était du moins ce que la mairie disait ouvertement et c’était son droit. Mais en matière de droit, il y a toujours des exceptions. Si le droit était affirmé haut et fort, les exceptions elles, sont affaires d’ initiés . Et Jean avait cette logique bien à lui, qui faisait que les incertitudes des uns, devenaient des évidences pour lui. Et à bien analyser les choses, l’histoire allait lui donner raison.

 

La première chose était qu’il fallait regarder les constructions et restauration qui avaient été accordées à Chatelaillon plage, depuis que le Maire actuel était en place. Depuis trois mandats, ce dernier s’était voué corps et âme à ressusciter cette petite cité balnéaire endormie.  Toutes les constructions étaient d’authentiques ou des pastiches, allant du second empire à l’art déco, soit une période relativement courte. Elle s’étalait sur une soixantaine d’années et était  à cheval sur deux siècles et deux  guerres . Plus récentes,  les quelques maisons des trente  glorieuses, n’avaient d’autre choix que  d’être retraitée en style Art Déco ou issues du Bauhaus, si elles voulaient être réhabilitées. Sinon elles  se condamnaient  à être détruites et remplacées, ou  à refaire  seulement les peintures .C’était justement le choix que Liza  avait fait pour la sienne . Et de fait, cette maison était restée dans une distribution de pièces complètement absconses. C’était un gouffre énergétique et une usure prématurée des genoux, sur  des escaliers omnipotents : souffreteux et arthrosique, s’abstenir ! Donc, pour réhabiliter la maison fissurée,  il fallait absolument présenter un projet qui remporterait d’ abord l’agrément de Monsieur le Maire.

 

La deuxième chose était que si la maison s’écroulait, les autorités n’allaient pas laisser un terrain vague au milieu d’une ville, qui avait pour devoir de plaire aux touristes. Et à une époque ou l’on construisait la ville sur la ville, pour atteindre partout des hauteurs maximales autorisées et densifier l’habitat, cela aurait été une pure hérésie .Mais le français n’est pas très calé en histoire des religions. La France pourtant, le plus grand pays d’Europe après la Russie, se faisait un devoir d’appliquer des règles d’urbanisme de pays beaucoup plus petits et plus dansements peuplés. Comme si  les  technocrates n’avaient rien appris  des erreurs passées. Plus les gens sont serrés, plus les maux sociaux prennent de l’ampleur. Et pourtant, tant de villages de nos régions, à l’architecture souvent ancienne et typique, étaient à sauver.

 

 

La troisième était qu’une fois la maison en ruine acquise, il fallait se montrer plus qu’adaptable, car les aléas seraient nombreux. Il fallait concevoir plusieurs projets à plusieurs niveaux de budget, tout en sachant qu’aucun ne serait éventuellement retenu et donc, recommencer à zéro : Mais croire est toujours plus fort que savoir !

 

Donc, c’était avant tout un projet d’entrepreneur, plus que de propriétaire. Mais là, la denrée manquait  en France. Depuis les années 80,  avec l’ accumulation des contraintes en tous genres, à force d’être montré du doigt par des medias  incultes,  par  une  l’administration autiste et un climat entretenu de lutte des  classes, l’espèce  était en voie de disparition.  Beaucoup avait fuit la fiscalité confiscatoire des années "Hollande" .Mais  avec cent pour cent d’endettement du pays  sur le PIB, le réel finirait un jour par rattraper les esprits égarés.  Sur une population d’actifs, avec vingt pourcent de fonctionnaires et soixante-quinze pour cent de personnes qui aspirait à le devenir, la France était en panne d’entrepreneurs qui entreprenaient  .

 

 

Solange  était de ceux-là et c’était toujours avec horreur qu’elle accueillait les nouvelles idées de son mari.  Aussi déstabilisantes étaient ’ elles, ses idées avaient  pourtant fait  sa fortune.  Tous ses frères et sœurs à elle , bien qu’ayant bien plus de diplôme que Jean , étaient restés employés, dans des villes en sursis, mais à proximité de leur parents. Alors que Solange, entrainait demeures et  carrosses  sur la cote. Comme quoi, plus s’est gros, moins on le voit !

 

 

Une fois déposer, leur amis chez eux, Solange et Jean arpentaient une nouvelle fois, en voiture   , les rues  de la station  balnéaire . La discussion était vive tant les incertitudes qui pesait sur ce projet, stressaient Solange.

 

 

- Maitre Pigasse m’a annoncé que son ami Goudreau, le propriétaire de la maison, accepte notre offre, mais seulement sous deux conditions : La première est qu’il n’y ait pas de condition suspensive de prêt ou d’autres choses. La seconde est que l’on accepte que pour la procédure assurancielle, la maison soit encore visitable, pendant quelques mois. J’ai donné mon accord sur tout. Nous devons contacter notre notaire de famille au plus vite, avant que le vent tourne, afin d’établir le compromis.

 

 

C’était le pire que l’on pouvait faire à Solange. Engager des sommes importantes avec autant d’aléas, sur si peu de temps. Et cela la faisait partir en crises quasiment d’hystérie. Malgré les chiffres posés, la connaissance du marché, leurs réussites passées dans tant de domaines différents et ceux depuis près de trente années, rien ne raisonnait plus à son intelligence. Son mari allait la ruiner. Ils allaient devenir des SDF. Il n’était qu’un mégalomane.  Elle avait honte d’écraser tout le monde avec de son argent , quand tant de personnes étaient dans le besoin… et "cetera desunt"  « et le reste est omis » …Enfin tout et n’importe quoi. Oui Elle avait envie d’une maison vue mer, mais à conditions que …et puis que …mais il ne fallait pas que…et surtout qu’on lui donne gratuitement le bien, avec un chèque pour qu’elle réalise la décoration qu’elle avait compilée sur les magazines de décoration, qui remplissaient leur chambre, depuis quelques mois. C’était juste impossible. C’était juste n’importe quoi. Prendre des responsabilités, se bouger pour prendre part à l’avenir, ne suscitait chez elle qu’angoisse et sclérose . Comme dans les magazines, elle ne se nourrissait que d’intentions. Les magazines étaient là pour lui faire vivre une vie sans risque, par procuration.

 

Et dans son moment-là, elle disjonctait complètement à en devenir folle. Et dans son moment-là, Jean , l’absence de sa chimérique Liza  dans ses bras, lui manquait cruellement. Liza , elle  l’aurait compris. Liza  l’aurait accompagné dans ce projet. Liza  était une entrepreneuse. Pendant les tempêtes, Il faut bien avoir une tour d’ivoire pour se réfugier quelque part, sous peine d’être emporté. Que de violence chez cette femme, chez beaucoup de  femmes en général , une violence gratuite et sans autre fondement que de ne pas comprendre de quoi demain sera  fait ; anticiper demain , plutôt que le craindre ou de subir  . Mais à  quoi bon vouloir faire le bonheur d’une épouse si peu faites pour. Alors, il fallait partir …partir ou tenir …

 

Les années passantes, la belle famille de Jean  avaient assistées , en spectateur à l’ avancé  sociale de leur sœur. Même si certaines réflexions semblaient prouver le contraire, Ils n’en avaient pas tiré plus que cela de la jalousie   . Ils vivaient cette situation comme si la vie,  ingrate vie, n’avait rien fait pour eux .Ils étaient des perdants. Ils étaient surtout des handicapés de toutes remises en question. Mais pour eux, c’étaient dans l’ordre des choses ; ne surtout pas avoir une tête qui dépasse, et encore moins la leur, des fois que…Il y avait dans cette attitude toute la France de cette époque, celle   qui marchait si mal.

 

Et ce fond familial rajoutait une culpabilisation supplémentaire à Solange qui lui devenait insupportable. Elle en avait trop ! Elle en faisait trop ! Ce mari trop ambitieux la condamnait à une damnation certaine au regard d’une famille incapable de dépasser leur condition, qui n 'était pourtant en rien médiocre .

 

Mais pour Jean , cela était incompréhensible. Vu comment fonctionnait la société d’alors, en retrait d’un monde en expansion, c’était juste n’importe quoi. Sans avoir pris les risques, qu’il avait dû affronter, dans ce pays sclérosé, leur couple n’aurait pas leur qualité de vie et surtout, les enfants aurait fait un parcours scolaire terne. Car pour la classe moyenne   supérieure, surtout si elle est issue du privé, c’était la double peine. C’était elle qui supportait  la plus grande partie du poids de l’impôt. Au nom de la solidarité, cela devrait être acceptable et accepté. Mais cela ne fonctionnait pas comme cela !  Les enfants, quand ils ne sont, comme la plupart des enfants, que de bons moyens, comme tous les enfants dont les parents se sentent concernés par leur avenir, ils n’avaient guère de chance d’accéder aux grandes écoles supérieures et surtout gratuites. Donc, c’était bien la double peine ; la fiscalité pour financer un système scolaire supérieur auquel ils n’avaient pas droit, mais en plus , ils devaient payer des cours particuliers tout au long du collège et du lycée , chers mais efficaces ,et  le  prix des écoles privées supérieures , dont les dérives restait à prévoir ; ni le beurre, ni l’argent du beurre, mais bien  le poids du beurre !

 

Dans un pays aussi mal géré , à la préférence pour le chômage, augmenter son patrimoine était la seule assurance, pour pourvoir au aléas .Le cumul des mandats des politiques, toujours prêt à faire la morale contre les accapareurs,  ne répondait qu’à cela en priorité. Le pire du cynisme était que ceux qui se présentaient comme les défenseurs des humbles. Pendant une longue carrière sans risque et toujours aux frais du contribuable, ils avaient accumulé de gros patrimoines. Et il y avait toujours des médias pour leur servir la soupe !

 

Mais Jean avait conscience que  le système n’allait pas changer du jour au lendemain. Il se devait de mettre sa famille à l’abri du besoin et préparer ses enfants à être, à leur tour, adulte, dans une société infantilisante et bouffée par l’émotion. Pas Solange  , inadaptable  par nature ,qui   aurait bien vécu dans un monde immuable  et  ordonné , qui ne serait jamais sorti  de l’âge pierre !

 

 

Au font , de quoi se plaignait cette femme ?  Jean trouvait les moyens de répondre, encore une fois à sa demande, de vivre en face la mer, avec des moyens qu’ils n’avaient pas. L ‘ entrepreneur par essence, c’est cela : Faire une récolte à partir de quelques noyaux plantés dans une terre boudée par les autres. Une fois de plus, Jean allait se battre, contre le système, mais aussi contre cette épouse, qui finirait par récolter les fruits sans savoir que ce serait des fruits. Et elle ne reconnaitrait que très partiellement, le son bon sens paysan de son mari, une fois le projet terminé. Et elle lui ferait encore des reproches pour des broutilles, sur la couleur des interrupteurs ou des robinets des salles de bain. Evidement qu’il faisait des erreurs. Mais il devait tout porter seul sur ses épaules et en plus gaspiller son énergie contre cet être incomplet. Mais après s’être épuisé après une chimère, il acceptait maintenant son sort. Il n’y avait plus de révolte en lui, juste de la fatigue. Pour la première fois de sa vie, il accepterait une partie de son destin, une partie seulement.

 

 

Il aurait bien demandé à Liza de l’aider dans ce projet. Elle connaissait par cœur la ville, son administration et toute les ficelles. Le temps avait passé. Un être normalement constitué aurait saisi sa chance et le chèque au passage. Et puis ils auraient fait la paix ensemble. Ils en avaient besoin tous les deux.

 

 

Jean lui aurait bien demandée une première fois, par email probablement, surtout pas de confrontation directe.  Et elle aurait décliné poliment. Il aurait insisté, et là elle se serait déchainée. S’il y avait quelque chose de pas du tout chimérique chez Liza , c’était bien cette sauvagerie incommensurable, qui fera longtemps d’elle , une « Femme Barbare* »

 

Comme Liza, comme Solange, comme bien d’autres, parfois on se demande pourquoi tant de personnes qui aiment si peu la vie, qui n’accordent que si peu d’attention à l’autre, outre que dans les mots, et rarement dans les actes, avec si peu d’empathie autre qu’avec elles-mêmes, viennent miner la vie sur cette terre ?

 

Cette maison était pour Jean , un nouveau défi à sa hauteur. De ceux qui vous font vous arracher l’esprits et le corps, être créatif, convaincre et porter un petit morceau de ce destin que l’on se dessine à soit même. C’est cela la vie, cette capacité à changer, même humblement le cours des choses. Et puis il avait besoin de penser à autre chose. Sa course après une chiméré l’avait épuisé, meurtri, calciné. Il n’était plus tout à fait le même. La chimère l’avait changé. Elle lui avait pris quelque chose qu’elle garderait jalousement pour elle, secrètement pour elle. Cette chose, sa chose, c’était juste l’espoir de ne vivre un jour, plus rien dans les yeux de quelqu’un et réciproquement. Elle ne lui avait laissé que les arrêtes, et il les mangerait longtemps. Mais ils avaient toujours de l’Energie, de la brillance dans ses yeux, quand fallait se dépasser.

 

Non Liza ne saisirait pas la main que Jean lui avait tendue. Pourquoi lui avait-il même demandé de s’occuper du dossier cette maison ?  Mais Jean, il est comme cela. Il préférait le linge propre, bien repassé et les chemises bien empilées. Même s’il ne les sortirait plus jamais de l’armoire. Liza n’avait pas envie d’aller mieux, d’être en paix. C’était tout. Mais c’était son choix !

 

Non : "Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances" …à la recherche du temps perdu !

 

Pour Solange, cela faisait trente années qu’il bataillait avec elle. Mais, une fois cette nouvelle réalisation arrivée à son terme, devant l’admiration de tiers, elle conviendrait à peine, de la justesse d’engagement de ce Jean qu'elle avait choisie, justement pour lui apporter ce qu'elle n’avait pas , mais aussi , pour lui  empoisonnait la vie. Il n’y a que de l’extérieur que l’on peut faire bouger les choses, les choses qui sont à l’intérieur.

 

Il en était de même, la gestion actuelle de cette France, percluse par des politiques sans volonté et rapaces, jugées par des journalistes au logiciel dépassé. On attendait l’enfant prodigue qui allait rebouter ce système complètement à bout. Et ce jour-là, toute le monde aurait mal, car tous en croquaient à crédit depuis si longtemps, cyniquement conscient qu’ils laisseraient la note à leurs enfants.

 

Solange avait deux peurs, celle d’avancer et la peur d’avoir peur . Ce fut donc logiquement qu'elle chercha et trouva son contraire en la personne de Jean, quitte à être contrariée toute sa vie.  C’était pour cela qu’elle l’avait choisi ce Jean, incapable de rester les deux pieds dans le même sabot, pour lui faire des enfants !

 

La maison fissurée serait acquise. Les dés étaient jetés !

  

 

 

*Voir le premier roman d’Alcide Sarin : La femme Barbare

Rédigé par Alcide SARIN - Romancier & Photographe

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